L'histoire | Ce chapitre |
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Publié : le 04/07/2008 Ã 00h06 - Mise à jour : le 04/07/2008 Ã 00h06 - Commentaire(s) : 5 - Lecture(s) : 1761 - Chapitre(s) : 1 - Mots : 953 - Complet : oui - AMR : Tous publics - Favorite de : 0 - Abonnés à l'histoire : 0 | Publié : le 04/07/2008 Ã 00h06 - Modifié : jamais - Commentaire(s) : 0 - Lecture(s) : 1760 - Mots : 953 |
Le banc
Résumé : [texte écrit pour le concours Le Trickster] Depuis maintenant 5 ans, Pierre ne se souvient de rien... ou pas grand chose. Jusqu'à ce jour dans le parc... |
Je me réveille ce matin comme les autres jours. J'ai fini par accepter de dormir à côté de celle qui se dit ma femme. Elle dort encore. Comment s'appelle-t-elle déjà ? Impossible de savoir. Elle a beau me le redire encore et encore, tous les jours, je n'arrive pas à le retenir. Elle a vraiment du courage. Ça fait maintenant 5 ans que ça dure. Elle m'a raconté plusieurs fois ce qu'elle savait de ce jour là : on m'a retrouvé hagard, affalé sur un banc dans le grand parc de la ville, complètement apathique. C'est le gardien qui faisait sa ronde avant de fermer qui m'a trouvé. Personne ne sait ce qui s'est passé. Et je survis depuis, complètement étranger à ce que je vis.
Je m'habille en regardant les photos punaisées au mur. Elle en a tapissé toute la maison pour m'aider. Mais à quoi ? Je ne me reconnais sur aucune, et pourtant, il paraît que je suis sur toutes. Je ne comprends pas. Je me suis résigné à ne pas comprendre. Puisque tout le monde le dit, ce doit être vrai ! Et je l'accepte comme ça.
Aujourd'hui c'est samedi, me dit le calendrier de la cuisine. Donc je ne travaille pas. Je laisse un mot à l'intention de celle qui dort encore là-haut: je vais me promener, je resterai dans le quartier, promis, et je serai rentré pour midi.
Je sors. Je flâne dans les rues encore désertes. En passant devant la gare, je remarque une animation particulière mais je ne m'arrête pas. Je n'ai pas très envie de prendre un bain de foule !
Mes pas m'entraînent vers le grand parc. J'hésite. Oserais-je y entrer ? Depuis ce fameux jour, je n'y suis retourné qu'une seule fois, et j'étais accompagné.
Je me décide, j'entre. Le gardien est là dans sa loge, un grand sourire aux lèvres:
- B'jour monsieur Tanio ! Comment ça va aujourd'hui ? Ça fait longtemps que j'vous ai pas vu !
- Je vais bien, merci. Et vous ?
Son sourire s'efface.
- On fait aller. Toujours pas revenue ?
Je m'éloigne en silence. Nous avions une manière particulière de nous saluer. Il me l'a dit mais elle ne m'est pas revenue. Et il veut que je la retrouve tout seul.
Je continue de marcher dans ce parc. Je me perds entre les bosquets. J'avance un peu comme un automate, sans penser à rien. M'asseyant sur un banc, je regarde les pigeons qui se battent pour une miette de pain. Une impression de déjà-vu me traverse fugitivement. Je n'y prête pas attention. Je rêvasse les yeux dans le vide. Une vieille dame s'assoit à côté de moi.
- Bonjour Pipou !
Je sursaute et regarde autour de moi. Nous sommes seuls et il semble bien que c'est à moi qu'elle s'adresse.
- Pardon ?
- Désolée d'employer ce surnom, c'est le seul nom que je te connaisse...
Elle rit. Je dois avoir l'air complètement abasourdi. Ce nom, ce visage, tout ça me dit quelque chose mais c'est flou, très flou.
- Vous... vous me connaissez ?
- Bien sûr ! Tu ne te souviens pas de moi ?
Souvenir... Ce mot a une drôle de résonance en moi. Ça fait comme un déclic à l'intérieur. Comme une porte qui se déverrouille. Mais sans plus. Je reste un moment sans rien dire.
- Qu'est-ce que vous voulez dire ?
- Voyons ! J'étais ta voisine ! Je te connais depuis que tu es haut comme ça ! Tu ne vas pas me dire que ça ne te rappelle rien ?
Me rappeler... J'ai l'impression d'avoir reçu un coup. J'ai du mal à respirer. C'est comme si chacun de ses mots m'arrivait physiquement dans la figure. J'arrive quand même à articuler dans un souffle :
- Non. Et ça dure depuis 5 ans.
- Oh ! Mon pauvre !
Elle a l'air horrifiée. Pendant quelques secondes on entend seulement le chant des oiseaux et quelques enfants qui crient dans les parages. J'essaye de reprendre mes esprits. Ma respiration se calme rapidement mais ça reste la tempête là-haut. Elle reprend:
- Voyons voir... Puis-je te raconter ce que je me souviens de toi ?
Encore ce mot ! Il me trouble mais je ne le comprend pas. Je secoue la tête. Autant pour essayer de remettre de l'ordre, que pour pour lui faire comprendre que j'ai du mal à suivre.
- Allez-y... On peut toujours essayer.
Et elle commence à raconter. Des anecdotes de grand-mère sur un petit voisin mignon mais un peu turbulent, des détails d'une vie qui me rappellent vaguement quelque chose. Elle s'emmêle à moitié les pinceaux et rigole tout le temps. J'écoute, j'essaye d'enregistrer mais je suis tellement dans la brume que je n'en comprends même pas le quart.
Au bout d'un moment elle s'arrête net.
- Houlà flûte ! Je vais être en retard pour aller chercher mes petits-enfants ! Merci en tout cas, ça m'a fait plaisir de reparler de tout ça !
Et elle me plante là. Je me retrouve encore à regarder les arbres, les oiseaux, les fleurs et les cailloux, sans vraiment les voir.
Petit à petit, en moi le brouillard se désépaissit. Je reste abasourdi par ce qu'elle m'a raconté. Je ressasse ce que j'ai pu retenir. Mais j'ai du mal à en saisir la totalité et tout ce que ça implique pour moi. Est-ce que je ne préfère pas rester amnésique? C'était plus confortable comme vie...
Et Coraline ?
Je ne peux pas lui faire ça.
« Coraline » ! J'émerge doucement. Ma mémoire a choisi pour moi. Je suis Pierre Tanio. Je suis marié depuis 12 ans avec Coraline. Je suis architecte.
Je regarde autour de moi avec un œil neuf. J'ai l'impression de renaître. Je reconnais ce banc... C'est celui où on m'a retrouvé. Je me lève enfin et je pars, le cœur en paix. Je n'en veux à personne et j'ai l'impression que le monde m'appartient.
En passant devant la loge du gardien je le salue en croisant mes doigts sur ma poitrine. J'aperçois son regard qui s'illumine et s'embue à la fois, mais je me retourne et je pars. Je n'ai jamais été très bavard.
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